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samedi 4 juin 2011

La méditation sans objet

Extrait de « Le sens des choses »
de Francis Lucille


Quand le mental devient tranquille au cours de la méditation, je reste conscient des perceptions sensorielles. Comment cela se rattache-t-il à l'histoire du faiseur de flèches dont l'attention était si parfaitement concentrée qu'il ne remarqua pas le passage de la procession nuptiale du roi ? Ma méditation est-elle incorrecte ?

On peut distinguer deux sortes de méditation : la méditation avec objet et la méditation sans objet.
Dans la méditation du premier type, l'attention est concentrée sur un objet spécifique, grossier ou subtil : image physique ou mentale du divin, sensations corporelles diverses, série de syllabes sacrées, etc. Dans cette voie, un effort, parfois très subtil, est requis pour détourner l'attention des objets vers lesquels les désirs la portent. Au terme de ce processus, qui produit un apparent affaiblissement de l'ego, le mental peut rester fixé sans effort sur l'objet contemplé. Le méditant éprouve une immobilité, une absence de pensées et de sensations autres que celles qui constituent l'objet de méditation, même en présence du cortège royal qui n'est pas remarqué par l'artisan. Hélas, l'absorption qui est ainsi obtenue est un état mental qui se situe dans la temporalité, a un début et une fin. Tôt ou tard le yogi doit sortir de son samadhi. L'ego est toujours présent avec son cortège de peurs, désirs et souffrances.
Une forme particulière de méditation avec objet est celle dans laquelle l'objet est le vide, l'absence d'objets. Un effort est maintenu pour garder le mental libre de pensées et sensations. Comme dans tout autre forme de méditation avec objet, il en résulte un affaiblissement temporaire de l'ego, et le mental éprouve pendant quelque temps une absence de pensées et de sensations, ou simplement une absence de pensées, selon la nature et la profondeur du samadhi ainsi obtenu. Mais ce samadhi est également encore une création mentale qui a un début et une fin. Cette forme de méditation est souvent prise à tort pour la méditation non-objective. Tel n'est pas le cas parce que l'absence d'objets est encore un objet subtil que le mental projette. Bien que cet état puisse apporter quelque soulagement temporaire et même dans certains cas s'accompagner de certains pouvoirs psychiques, il révèle bien vite sa stérilité. Le méditant reste enfermé dans sa prison mentale et la plénitude du cœur lui demeure cachée. Cet état est privé de la liberté absolue, de la joyeuse créativité et de la merveilleuse certitude d'immortalité qui signent l'état naturel non-duel.

Dans la méditation non-duelle véritable, notre attention est naturellement attirée vers le non-objectif, le sujet ultime, la conscience. Ce changement est le résultat d'une compréhension profonde. Au début, il est demandé au chercheur de vérité de noter que le bonheur qu'il recherche réellement, dont un exemple lui est donné par la joie sans cause qu'il éprouve en présence de son instructeur, est non-objective, c'est-à-dire qu'elle n'est pas contenue dans un objet, grossier ou subtil. Lorsque ce point est devenu clair, on lui indique que le mental, qui ne peut saisir que des mentations (1), ne peut avoir accès au domaine non-objectif; il en résulte que toute tentative de se procurer à l'aide de la pensée ou de la sensation le bonheur qu'il recherche est vouée à l'échec. Cette compréhension tranquillise le mental d'une manière naturelle et radicale. Dans cette forme de méditation, les pensées et sensations ne sont ni recherchées ni évitées ; elles sont simplement accueillies et laissées libres d'évoluer à leur guise. Cette approche se caractérise par une ouverture totale à nos perceptions sensorielles externes ou internes, à nos émotions et à nos pensées.
Ces mentations variées pourraient être comparées aux divers personnages d'une pièce de théâtre. Tant que nous prenons intérêt à l'intrigue, notre attention est complètement retenue par les acteurs qui jouent sur le devant de la scène, mais, si notre intérêt se relâche, notre attention se détend progressivement jusqu'au moment où nous prenons subitement conscience de l'arrière-plan, du décor. De la même manière, lorsque notre attention devient globale et désintéressée, se déconcentre et s'ouvre à la suite de la compréhension que nulle sensation ou pensée ne saurait nous apporter la félicité que nous recherchons, un moment survient où nous nous éveillons subitement à cet arrière-plan conscient qui se révèle alors comme le repos ultime que nous avions tant cherché.
Il n'est pas nécessaire que les acteurs quittent la scène pour que nous prenions conscience du décor ; de même, l'absence de mentations n'est pas une condition nécessaire pour l'éveil à notre soi réel. Le départ des acteurs nous fournit simplement une occasion privilégiée d'effectuer cette prise de conscience. De la même manière, chaque fois qu'une mentation se meurt dans la conscience, une occasion nous est offerte de nous éveiller à notre nature immortelle.
L'attitude intérieure d'écoute bienveillante qui est l'essence de la méditation non-objective peut être naturellement et aisément saisie par un chercheur sincère et motivé en présence d'un être unifié à l'arrière-plan, par une sorte d'induction spirituelle.

(1) Mentations : pensées, sensations, perceptions » NdT.